Les différentes cérémonies organisées par les leaders religieux à l’occasion du Maouloud ont été diversement appréciées dans notre pays. Les succès populaires rencontrés démontrent le grand attachement des Maliens à la question religieuse et aux sermons qui sont prononcés par les leaders lors de ces rassemblements. A l’inverse, certains groupes de Maliens et certains relais internationaux y ont vu une main mise progressive de la religion sur la société malienne et sur l’Etat. De là à voir l’instauration d’un prochain califat ou d’une République islamique au Mali, il y a un pas que de nombreuses personnes franchissent allégrement. Nous avons même entendu des journalistes maliens et étrangers conférant à certains leaders religieux la position de ceux qui détiennent le pouvoir au Mali !
Alors, notre pays est-il si près de basculer dans la République islamique ? Est-il si près de la charia généralisée avec la multiplication de ce que des bandits prétendument musulmans véhiculent comme son application (mutilations, flagellation, destruction de patrimoine…) ?
Il n’en est évidement rien. Cela pour plusieurs raisons d’ordre juridique, culturel ou social. Cependant, nous gagnerons à nous inscrire dans la prise en compte du fait religieux comme une donne incontournable de la stabilité de notre société. Une donne qui constitue l’un des remparts idéologiques les plus efficaces contre les vendeurs d’illusions de tous acabits.
La laïcité de l’Etat malien est gravée dans le marbre et est consacrée par chacune des trois Constitutions qui ont encadré l’exercice des pouvoirs publics dans notre pays. La Constitution actuelle revient dessus en son préambule mais également en ses articles 18 (enseignement laïc), 25 (République laïque) et surtout 118 qui indique qu’aucune révision constitutionnelle n’est possible si elle revenait sur la forme laïque de l’Etat. Cette laïcité revendiquée et affirmée rejoint parfaitement une laïcité encore plus ancienne et qui nous est familière en l’occurrence la profonde laïcité sociale à conjuguer avec le profond humanisme et la grande ouverture aux autres observées par les Maliens au fil de l’histoire. Cet esprit d’ouverture, cette harmonie sociale rarement pris à défaut ont façonné notre société et l’ont amenée à se tenir éloignée de tous les
extrêmes. Le territoire du Mali actuel a abrité de nombreuses formes très évoluées d’organisations humaines, des civilisations qui se sont caractérisées par l’acceptation des hommes et des groupes d’humains quelque soit leur confession religieuse. Des civilisations qui, même fortement imprégnées de valeurs religieuses, ont toujours toléré la coexistence avec des convictions différentes. La Charte du Kurukan fuga, l’organisation sociale et les relations entre les obédiences religieuses sous le magistère du Kaya Maghan, où encore plus près de nous l’ouverture d’esprit des sages de Tombouctou constituent autant d’exemples de tolérance de la diversité, du respect des minorités et de la bonne entente des religions. Notre République laïque repose de ce fait sur une société laïque. Cela est incontestable et devrait continuer à l’être.
C’est en cela que le Mali ne peut être extrémiste ! C’est en cela que le Malien d’aujourd’hui ne peut être extrémiste ! Nous en vîmes des illustrations, notamment au Nord de notre pays où des populations désarmées s’opposèrent à l’application de châtiments insensés à des êtres humains pendant l’occupation de cette partie du Mali.
Nous devons nous adosser à ce fonds culturel et religieux de tolérance pour poser les jalons d’un Etat tolérant mais qui traite la religion comme un facteur d’intégration et de cohésion. Un Etat qui va collaborer avec elle vers cet objectif pour accroître sa propre assise et éloigner définitivement de nous toutes les menaces que pourraient constituer l’importation d’idéologies aussi obscures qu’inefficaces. C’est le défi que le Mali et l’Etat malien devront relever aujourd’hui et sans doute demain. Ils en ont les moyens.
Dans le passé récent, la laïcité a été malheureusement revendiquée en des occasions n’ayant que peu de lien avec ses conceptions originelles et surtout elle est évoquée pour justifier certains choix ou décisions n’ayant qu’un rapport lointain avec elle. Il est maintenant de bon aloi d’évoquer la laïcité à chaque occasion où sont mis en discussion des sujets qui heurtent les convictions religieuses. Comme si la laïcité est synonyme d’anti religieux et de promotion de ce qui va à l’encontre des préceptes religieux. Nous nous orientons ainsi vers un environnement malsain où seront opposées laïcité et religion, République et religion au grand dam de la République et de la religion et surtout au grand dam de la société. C’est pourquoi il est urgent de réaffirmer la laïcité de l’Etat mais en même temps réaffirmer tout autant l’impérieuse intelligence entre la République laïque et les religions. Cette bonne intelligence qui a gouverné l’exercice des pouvoirs qui se sont succédé sur ce territoire pendant plusieurs siècles.
L’Etat laïc doit être consacré. Il signifie un pouvoir qui s’acquiert et qui s’exerce selon des règles établies s’imposant à chaque citoyen et convenues de manière consensuelle entre tous. Il signifie une administration publique au service de tous les citoyens sans distinction et dont les responsabilités sont dévolues selon des principes non discriminatoires. Il soutient et promeut la liberté de culte, la protection des minorités religieuses et l’équidistance de l’Etat vis-à-vis des religions. Il est synonyme de satisfaction des besoins de base des citoyens afin de leur procurer des chances égales leur permettant de se réaliser et de contribuer aux charges de la communauté. L’Etat Républicain laïc repose sur des règles précisant dans les détails la mise en œuvre de ce qui est présenté ci-dessus. Ces règles sont motivées essentiellement par l’efficacité, la pratique et l’applicabilité. Elles sont d’ordre temporel comme l’est d’ailleurs l’Etat et n’ont pour d’autres horizons que ceux fixés par leurs concepteurs. Elles ne sont pas inamovibles et varient avec le temps en fonction de l’évolution de l’environnement et de l’espace concernés par leur application.
Ces indications sont incontestables et incontestées par une majorité écrasante de notre pays. Il faut les renforcer. Mais il faut le faire en bonne intelligence avec les religions en tenant compte de leurs spécificités. Une religion relève principalement du domaine intemporel et immuable. Elle est fondée sur une croyance et une foi qui gouvernent la vie d’un individu. Elle procède de rapports entre l’homme et son créateur. Une religion est également synonyme de règles, de pratiques, de comportements à adopter par l’individu pour vivre sa foi et mériter de son créateur. Elle est porteuse de valeurs morales et spirituelles ayant des rapports avec les comportements sociaux.
Les êtres qui embrassent une religion sont portés par cette synthèse entre la foi, la conviction, les valeurs et règles qui gouvernent leurs existences et auxquelles ils sont foncièrement attachés. La religion constitue ainsi un referant supérieur pour l’individu au moins au même titre que les règles publiques dictées par l’Etat.
Il résulte de la présentation d’une part de l’Etat et d’autre part de la religion qu’une confrontation est théoriquement possible entre eux en raison du même sujet susceptible d’être concerné par leur déploiement. Confrontation qu’une attitude intelligente permettra d’anticiper, de gérer, de diluer et de réduire de manière significative. C’est à cette intelligence qu’il faut convier l’Etat car des deux, c’est lui qui, par définition, est chargé de l’harmonie sociale et surtout qui possède les ressorts nécessaires pour amortir les chocs. L’Etat se doit d’étrenner sa laïcité de manière intelligente avec les religions. Il a des efforts importants à fournir pour ce faire.
Le premier effort à fournir par l’Etat est d’intégrer le fait religieux comme une des valeurs significatives de notre société et de le prendre en compte comme tel. Il s’agit d’aller très largement au delà des visites de courtoisie, de la prise en compte des leaders religieux dans les instances, du soutien fait aux organisations religieuses ou encore de l’exercice par les leaders religieux de certaines fonctions d’intermédiation. Il s’agit d’intégrer une bonne fois pour toutes que les règles religieuses, dans les domaines où l’Etat ambitionne de légiférer, sont autant sinon plus légitimes pour les citoyens que d’éventuelles règles publiques. Il s’agit donc de préserver, dans la mesure du possible, la vie sociale et les croyances individuelles du domaine de la législation. Eviter de légiférer là où les convictions, les croyances s’imposent aux individus et qui ne contraignent nullement l’harmonie sociale ! Autrement dit, il s’agit pour l’Etat d’éviter de vouloir faire le bonheur des citoyens malgré eux-mêmes. Ce principe doit gouverner nos choix politiques et illustre mieux que les longs développements, la bonne intelligence qu’il convient d’instaurer entre l’Etat et les religions. Cela nécessitera quelques fois des négociations de tous les instants avec les uns et les autres. Cela prendra aussi du temps pour certains dossiers importants ou qui suscitent les réactions les plus tendues, mais en s’inscrivant dans une démarche de prise en compte des légitimes appréhensions des uns et des autres, en misant sur les évolutions dues au temps et à la confiance entre les responsables étatiques et religieux, on parviendra progressivement à faire de notre Etat un dispositif accepté par tous et revendiqué par chacun. La bonne combinaison entre la prise en compte des convictions intimes et quelques nécessités d’ordre collectif nous aidera à avancer vers ce dispositif. L’exemple du traitement du dossier relatif au code des personnes et de la famille, il y a quelques années, illustre bien le devoir d’adaptation de l’Etat. Nous devons nous en inspirer.
La bonne intelligence avec les percepts religieux se traduira par des innovations importantes en matière de législation, notamment sociale. Cela améliorera la collaboration et la confiance entre les autorités et les organisations religieuses. En la matière, il faut engager les autorités, notamment au niveau local, à collaborer avec les leaders religieux pour traduire davantage dans les faits le compagnonnage Etat – religion sans enfreindre le principe de laïcité. Ce compagnonnage facilitera l’instauration d’une collaboration durable entre l’Etat et le culte. Il s’agira à ce niveau, pour les autorités étatiques, d’envoyer un message clair et sans ambiguïté aux responsables religieux : l’Etat a un intérêt vital dans le soutien aux religions et les religions gagneraient à une bonne collaboration avec l’Etat. Cela d’autant plus que certaines croyances seront situées en dehors du champ législatif et réglementaire et continueraient à gouverner la vie de ceux qui les adoptent. Il nous faut faciliter l’installation des lieux de culte en instruisant aux collectivités territoriales de donner facilement les autorisations d’ouverture et d’accompagner ces lieux de culte sous leur ressort, dans le respect des règles d’urbanisme. Il faut que l’Etat organise mieux la répartition des jours fériés pour permettre aux croyants de mieux pratiquer leurs cultes notamment à l’occasion des fêtes religieuses.
Il faut ensuite que l’Etat apprenne à travailler avec les valeurs religieuses et s’organise pour les défendre et les promouvoir, non pas au nom d’une croyance religieuse donnée mais pour le bien être de la société, une de ses fonctions majeures. Ces valeurs sont porteuses de renouveau et de changement de mentalités. Il ne faut pas hésiter à les revendiquer et à les soutenir, aussi bien au niveau central mais également à travers les collectivités territoriales. Certaines mesures sont à envisager dans cette perspective. Ces mesures qui se justifieraient en elles-mêmes et qui auront de surcroît l’avantage d’avoir le soutien de nos confessions religieuses. La lutte pour la préservation de nos bonnes mœurs, de nos valeurs traditionnelles et sociétales ainsi que la protection de l’enfance, constituent une bonne occasion pour l’Etat sur ce chantier de promotion des valeurs religieuses. Il nous faut renforcer de manière conséquente les forces de l’ordre impliquées à ce niveau et alourdir les sanctions en la matière. L’Etat doit s’intéresser rapidement à la question de la prolifération des maisons closes et des hôtels de prostitution en collaboration avec les collectivités dans le sens d’un durcissement des conditionnalités de leur fonctionnement et surtout dans le sens du strict respect des textes en la matière. Il nous faut mieux contrôler l’accès aux lieux de réjouissance publique et veiller à ce qu’ils ne puissent être fréquentés par des mineurs. Les autorités doivent apprécier la possibilité de traquer les images obscènes et les termes insultants dans tous les domaines relatifs à l’espace public : films, chansons, danses, écrits, romans…Des efforts similaires sont à faire au niveau de l’accès aux services publics qui doit proscrire dans tous les bâtiments publics les habillements osés. Au niveau de l’école, on doit tendre vers la systématisation et la normalisation de la tenue scolaire ainsi que les modes de couture de cette tenue. De manière générale, les comportements qui jurent avec la morale ou qui choquent nos consciences sont à combattre. Il en est par exemple des incivilités relatives à tout comportement de manière générale qui est négative pour la vie en communauté et que le pouvoir public se doit de combattre. Sur ces chantiers, l’Etat aura forcement les religions comme alliées, ce qui accroîtra ses chances de succès. Il aura également moins de difficulté à inviter les chefs de famille, les leaders de communautés, les leaders d’opinion à jouer leur partition dans cette vague de moralisation de la vie sociale, publique et nationale.
En plaçant l’action publique sous le signe des valeurs, l’Etat malien instaurera un axe de collaboration et de compagnonnage significatif avec les religions. Ces dernières, notamment celles observées par les Maliens, ont beaucoup de points communs qu’il convient de soutenir pour mieux asseoir la légitimité de nos pouvoirs publics. Dans un contexte ou le politique, le public ou les leaders sont plutôt synonymes d’anti valeurs, si l’Etat fonctionne de nouveau selon ces principes, s’il parvient à imposer à ses serviteurs leur respect, il gagnerait une place importante auprès des religions et de leurs serviteurs.
Le dernier chantier de collaboration intelligente entre les religions et l’Etat au bénéfice de la société et de sa protection contre le développement d’idées extrémistes est la promotion des valeurs religieuses au sein de notre société à travers une meilleure connaissance des religions. Nos concitoyens, comme d’autres, ne disposent que d’une connaissance limitée de leur religion. Connaissance se résumant souvent aux pratiques qu’ils découvrent au sein de leur famille et qu’ils perpétuent ainsi de génération en génération. Ils sont réduits à cela par la pauvreté de l’offre de formation et de sensibilisation, liée à la faiblesse des prédicateurs et des leaders religieux dont certains, malheureusement, n’ont qu’une connaissance limitée de règles qu’ils doivent promouvoir.
La faiblesse idéologique de nos populations est patente et les expose à des manipulations et à toute autre forme d’exploitation. Il est déplorable de constater que certains leaders religieux, n’ayant pas intérêt à l’éveil idéologique des fidèles, ne font rien pour renforcer les connaissances de ces derniers. Il est souhaitable que l’Etat s’implique dans le domaine de l’éveil idéologique et religieux des Maliens pour qu’ils puissent être plus forts, plus pieux, mieux formés afin de renforcer les fondements de notre société. La connaissance des religions, autrement que par l’aspect pratique et physique ou encore la répétition des mêmes gestes, est absolument impérieuse. Elle passera par le soutien à une formation pointue et approfondie des leaders religieux, à leur éveil à la modernité et aux technologies, à leur sensibilisation à la marche du monde pour qu’ils puissent être des vecteurs puissants d’éveil des citoyens. Ils doivent connaitre leurs droits et leurs devoirs et un statut doit être édicté dans ce sens pour formaliser cette fonction de leader religieux. Nous ne devons pas hésiter à mettre en place des formations universitaires, des structures de recherche, des bourses d’études en collaboration avec les pays partenaires pour améliorer de manière significative la formation des leaders religieux. Avec les organisations religieuses, nous devons établir des collaborations permettant d’avoir un impact sur les prêches et autres sermons à servir aux populations. Les activités de prêches publiques, les conférences, les différents canaux de communication publique doivent être utilisés pour accroître la sensibilisation et la formation des citoyens. Là également, au niveau local, les collectivités territoriales doivent être encouragées à travailler avec les organisations religieuses pour utiliser les moyens efficaces permettant d’éveiller, de construire idéologiquement et de conscientiser le Malien pour qu’il maîtrise mieux sa religion, qu’il en perçoive les fondamentaux afin de pouvoir les appliquer dans sa vie quotidienne. Cela aura surtout comme effet de l’éloigner définitivement de tous les extrêmes. Le meilleur rempart contre les extrêmes est l’éducation et la formation. Ce n’est pas par la réprobation, les invectives ou, pire, la politique de l’autruche qu’on y arrivera. La religion est bien le meilleur rempart contre l’extrémisme religieux !
Le grand chantier d’édification d’un Etat efficace dans notre pays, et au delà en Afrique, passera aussi par la prise en compte intelligente des facteurs sociaux et particulièrement des religions. L’Etat malien laïc souhaitable sera ainsi cet Etat qui agira conformément à l’esprit républicain tout en tenant compte des réalités sociales donnant aux religions une place prépondérante avec laquelle il faut habilement composer. Pour les religions mais surtout pour lui et pour le pays !
Moussa MARA
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